Dans les années 60/ le fondateur de la marque qui
porte son nom doit se battre pour conserver sa place de leader sur tous
les circuits du monde. Les négociations de vente à Ford
ayant échoué, une formidable lutte pour la suprématie
au Mans commence entre le département course de Ferrari et le
grand constructeur américain.
Enzo Ferrari, en homme d'affaires avisé et en "meneur
d'hommes" averti (comme il se définissait lui-même),
savait parfaitement que perdre une bataille était sans importance
si l'on gagnait la guerre. Le problème qui se posait alors à
lui était le suivant : le combat qui l'avait jusque là
opposé à Ford pour la suprématie aux 24 Heures
du Mans, reine des grandes classiques d'endurance, s'était peu
à peu transformé en une lutte à mort. Les motifs
de cette rivalité implacable étaient en fait extrêmement
simples.
Au début des années 60, Enzo Ferrari rachète l'immeuble
qui abrite le siège du constructeur Ford à Bologne. Mais
l'affaire commerciale est beaucoup moins simple qu'il n'y paraît.
Ce geste de Ferrari est subtilement ironique, comme s'il voulait dire
par là: « Voilà le petit artisan de Modène
qui rachète le siège italien de l'un des plus puissants
constructeurs automobiles du monde ». Mais c'est égaIement
le moyen de lancer un message à une entreprise qui s'intéresse
de près à "l'artisan" de Maranello, c'est-à-dire
Fiat. Tout se passe comme si Ferrari faisait allusion à
un possible accord ou rapprochement avec la marque de Detroit.
Ford et Ferrari entamèrent effectivement à cette époque
des pourparlers pour le rachat de la firme italienne par la firme américaine,
pourparlers qui culminèrent début 1963. Enzo Ferrari déclara
à l'époque: « À qui laisserai-je Ferrari
? À un trust de milliardaires américains ? Si je continue,
au milieu de tant d'incompréhension, au milieu de tant d'ennemis
de l'intérieur et de l'extérieur, si je me bats comme
un vieux lion fatigué qui rugit plus qu'il ne peut griffer, je
le fais uniquement pour ces 300 familles d'ouvriers qui travaillent
pour moi. » Mais les pourparlers avec Ford, qui souhaitait acquérir
une image sportive de haut niveau, échouèrent. Ferrari
dit non aux exigences américaines et ainsi commença la
bataille du Mans. Ford avait entamé les hostilités indirectement,
en soutenant Caroll Shelby et ses Cobra GT, qui avaient donné
du fil à retordre aux berlinettes Ferrari, entre 1962 et 1963.
Puis, en 1964, Ford décida d'employer les grands moyer et mit
au point sa propre voiture, la GT 40, capable de battre les Ferrari.
Pour s'opposer à la puissance américaine, Ferrari engagea
cette année-là aux 24 Heures du Mans pas moins de huit
voitures officielles: trois 330 P, trois 275 P et deux 250 LM. Jean
Guichet et Nino Vaccarella remportèrent l'épreuve au volant
d'une 275 P. Cinq Ferrari terminèrent parmi les six premiers,
tandis que la 4e place était occupée par la Ford de Dan
Gurney et de Bob Bondurant.
En 1965, l'atmosphère devint encore plus électrique. Ferrari
avait mis au point les évolutions de ses propres voitures, engageant
ainsi deux 330 P2 et une 275 P2, tandis que ses autres voitures frappées
du cheval cabré participaient à la course à titre
semi-officiel. Ford engagea deux prototypes de 7 l de cylindrée,
plus quatre "petites" 4,7 l. Pour la firme de Detroit, ce
fut un nouveau camouflet : trois Ferrari finirent aux trois premières
places, tandis qu la première Cobra n'était que huitième.
Mais Ford préparait sa revanche...
En 1966, la GT 40 était désormais devenue une voiture
de premier ordre. Légère, compacte, d'une aérodynamique
efficace, puissante... Mais à Maranello, on ne s'en dormait pas
non plus sur les lauriers de l'année passée et trois 330
P3 avaient été mise au point, versions améliorées
de la Sport 12 cylindres de la saison précédente. Huit
Ford furent engagées dans la plus célèbre course
du Vieux Continent et sept Ferrari furent chargées de leur compliquer
la tâche. La bataille fut rude, mais, après trois années
d'efforts et des millions de dollars dépensés, Ford obtint
enfin ce qu'elle voulait : la victoire au Mans. La Ford GT 40 Mk Il
de Bruce McLaren et de Chris Amon remporta l'épreuve, immédiatement
suivie par deux autres voitures "jumelles". La première
Ferrari (une 275 GTB privée) n'était que 8e: un véritable
camouflet pour le seigneur de Maranello. L'année suivante, en
1967, la bataille du Mans entre Ford et Ferrari prit des allures presque
dramatiques. Les Américains engagèrent une évolution
de la GT 40, la MK V, de 500 chevaux, tandis que Ferrari envoya
l'une des plus belles sport-prototypes de tous les temps, la 330
P4. C'est avec une moyenne de 211 km/h que la Ford de A. J. Foyt et
de Dan Gurney supplanta sur la ligne d'arrivée les Ferrari de
Parkes-Scarfiotti et Mairesse-" Beurlys". En 1968, aucune
Ferrari officielle ne courut au Mans et la Ford GT 40 de Pedro
Rodriguez et de Lucien Bianchi remporta facilement l'épreuve
devant deux biplaces Porsche. Un succès qui se répéta
l'année suivante, lorsqu'Enzo Ferrari engagea les nouvelles 312P
qui n'avaient que trois litres de cylindrée... Le bilan de la
bataille du Mans n'est donc pas positif pour Ferrari. Et la guerre n'est
pas terminée, car, en F1, avec une première victoire au
GP des Pays-Bas en 1967, les moteurs Cosworth commencent à briller
: ce sont des V8 sur base Ford qui gagneront très souvent. Mais,
à cette époque, le plus important pour Enzo Ferrari est
la vente de son entreprise.
Suite
(L'arrivée de Fiat)